jueves, 16 de febrero de 2012

Les archives du futur


Le film de Shlomi Elkabetz "Edout"  projeté ces jours-ci à la cinémathèque de Tel-Aviv relève d'un genre cinématographique hybride à la frontière entre le documentaire et la fiction. Alors que généralement le brouillage des niveaux concerne les contenus, comme dans les films historiques ou les biographies de gens célèbres, "Edout" n'opère aucune dramatisation ni mise en intrigue des témoignages choisis. Parmi les centaines de témoignages récoltés par deux associations humanitaires israéliennes, B'tselem et Shoverim Shetika , la première recueillant les paroles de palestiniens des territoires occupés, et la seconde, celles d'anciens soldats israéliens témoins des abus perpétrés dans ces territoires, les récits sélectionnés par les deux coscénaristes, Shlomi Elkabetz et Ofer Ein Gal, sont identiques aux documents authentiques originaux à la seule différence que les textes écrits en arabes ont été traduits en hébreu.
Pourtant, le film réalisé par Elkabetz n'est pas un autre documentaire sur l'occupation des israéliens en Judée et Samarie. L'hybridité générique du film relève de sa forme: donner la parole à des comédiens israéliens connus, délivrer les témoignages dans la langue de l'occupant, réduire au minimum tant le jeu et l'expression des affects que l'environnement dénudé d'une nature vierge , ne rien dire d'autre que la parole testimoniale prononcée tant par la voix que par le regard fixé droit devant la caméra sur le spectateur. En neutralisant ainsi les paramètres convenus propices à l'enrichissement d'une intrigue, Elkabetz se focalise sur le témoignage tout en complexifiant la notion et en problématisant sa fonction.
Dans deux entretiens donnés l'un à Nirit Anderman pour le quotidien Haaretz du 5 janvier 2012 et l'autre à Osnat Trabelsi pour le journal culturel du sud Kvish40 de juin 2011, Shlomi Elkabetz parle longuement des effets produits sur lui par la lecture des témoignages. En créant ce film, il affirme vouloir faire vivre au spectateur la même expérience par laquelle il est passé en lisant la masse des témoignages. Pour lui, lire ou écouter n'est pas un acte passif mais un processus de métamorphose douloureux auquel nul ne peut échapper. C'est la raison pour laquelle Elkabetz a choisi l'hébreu plutôt que l'arabe pour les témoignages palestiniens. A la différence de l'idée reçue selon laquelle une traduction est un écran qui éloigne le spectateur de l'original, de l'authentique, Elkabetz prétend qu'en choisissant l'hébreu non seulement il empêche l'audience israélienne de se désolidariser du narratif palestinien et de se dire "ce n'est pas moi", "cela ne me concerne pas", mais encore il l'oblige à admettre le lien symbiotique qui unit l'occupé et l'occupant, tous deux propriétaires d'une mémoire commune et constructeurs d'archives d'un même futur.
Ce beau projet cinématographique avait ouvert le festival du film à la cinémathèque de la ville frontalière de Sdérot , le 29 mai dernier. Ce soir-là, la ministre de la culture et du sport, Limor Livnat expliquait en guise d'allocution de bienvenue qu'elle n'assisterait pas à la projection d'un film dont elle dénonçait, sans l'avoir vu, sa partialité et son parti-pris simpliste. Elle délégitimait ainsi le travail d'Elkabetz, et préférait s'engouffrer une fois de plus dans l'impasse dichotomique des bons et des méchants, du juste et de l'injuste, plutôt que de remplir dignement sa mission ministérielle. A l'opposé, Elkabetz tentait d'ouvrir la voie à une réflexion sur une calamité partagée.
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